Sylvain Maréchal:
Notice biographique
Pierre Sylvain Maréchal naquit à Paris, rue des Prêcheurs, le 15 août 1750. Son père y avait une boutique de vins. Sylvain faisait l'étude des lois pour devenir avocat au Parlement de Paris. Très jeune il s'adonna à la littérature, séduit par le genre des pastorales qui «répondaient à son penchant pour la campagne, à son culte de la vertu, à l'Amour qui s'éveillait dans son âme», comme le dit Maurice Dommanget dans sa biographie volumineuse (Sylvain Maréchal, Paris 1950).
A l'âge de vingt ans, en 1770, il publie son premier ouvrage littéraire, une dizaine d'idylles, sous le titre Bergeries. Le bon accueil fait à ce livre lui valut une poste à la Bibliothèque Mazarine où il acquit une grande érudition. Là il commença à développer ses idées philosophiques, ainsi que dans la société de Guillaume Wasse qui rassemblait surtout des littérateurs incroyants. Parmi ceux-ci, il fit la connaissance de Jacques Lablée qui, comme lui, avait le goût de la poésie légère ou anacréontique. Ensemble ils firent paraître un recueil, Essais de poésies légères suivis d'un songe (1775), dont nous reproduisons ici une Ode anacréontique, de la main de Maréchal.
Les années 1765-1780 marquent l'essor de la propaganda philosophique. Maréchal devient grand admirateur de Rousseau et subit l'influence de Voltaire, Condillac, Helvétius, Meslier, les matérialistes, Diderot. C'est dans l'ouvrage moraliste Livre de tous les âges (1779) qu'il aborde pour la première fois le problème de l'inégalité sociale sous le couvert d'injonctions morales. Maréchal est entraîné vers les idées socialistes de l'époque sous l'influence de la critique de Rousseau et surtout des écrits de Mably et Morelly. Le socialisme, pour lui, c'est un socialisme agraire qui aspire à la communauté des biens, rejette le commerce et les arts, fait à peine allusion au prolétariat urbain qui commence à se développer. Il reprend les idées utopistes sur l'âge d'or quand le peuple innocent vivait sans roi ni loi dans une égalité primitive. L'homme champêtre que Maréchal voit naître tient le juste milieu entre le cannibale brute et le Parisien poli.
En 1780, il publia, dans l'anonymat, un ouvrage nettement athée, Fragmens d'un poème moral sur Dieu, où il substitue essentiellement le culte de la vertu à la Divinité, la raison à la foi. Il convient de constater, avec Dommanget, qu'en visant à délivrer l'homme de toute servitude il rejoint le socialisme à l'athéisme. Suite à la publication du Livre échappé au déluge (1784), où il expose tous ses points de vue dissidents sur la religion, la morale, la société, il perd sa poste à la Bibliothèque Mazarine. Ensuite, au début de l'an 1788, Maréchal publie sous son propre nom L'Almanach des Honnêtes Gens. C'est un calendrier dans lequel les noms des saints sont remplacés par ceux de savants et hommes de lettres, «bienfaiteurs de l'humanité», à la date de leur naissance (n) ou de leur mort (m). A cause de l'indignation générale que cet ouvrage soulève il est arrêté et emprisonné à Saint-Lazare pour trois mois. Désormais il sera plus prudent et la plupart de ses ouvrages postérieurs à 1788 resteront anonymes, même ses articles dans Révolutions de Paris dont, en octobre 1790, il devient le rédacteur en chef et qui connaît un tirage de 200.000 exemplaires. Il y mène sa campagne anticléricale de plus en plus violente, ainsi que la lutte contre la royauté. Dans sa vie privée, il est pourtant très tolérant envers ses proches, sa femme et son père, qui sont des catholiques pratiquants.
Son article de février 1791, «Des pauvres et des riches», où il évoque «dans toute son ampleur le problème social qu'il n'avait abordé jusqu'ici que sous une forme sentimentale et morale» (Dommanget) s'inscrit dans la lutte entre royalistes et républicains. Dans la lutte entre Girondins et Jacobins, il ne prend partie pour l'un ni l'autre. Il montre son scepticisme sur le cours pris par la révolution dans son livre Correctif à la Révolution. Après la chute de Robespierre, il s'approche des Conjurés de Babeuf et rédige le Manifeste des Égaux, où il montre les hommes dupés par les belles paroles des politiciens ambitieux, les nouveaux tyrans assis à la place des anciens: «Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés». C'est à cause de cette phrase que le Comité directoire secret des Conjurés refuse de publier le manifeste - et que l'historien de l'anarchisme, Max Nettlau, rangera Maréchal parmi les premiers anarchistes (Der Vorfrühling der Anarchie, Berlin 1925). Le manifeste prône encore une fois la communauté des biens, c'est-à-dire la terre. Son originalité réside, selon Dommanget, dans «la double réunion du principe révolutionnaire et de l'idée communiste au mouvement de la masse laborieuse». Ses écrits n'étant pas signés, Maréchal échappe aux poursuites judiciaires contre les Conjurés, et continue de publier jusqu'à sa mort survenue le 18 janvier 1803.